Je pense à vous quand je braque mon stylo dans la forêt. Ça manque de gibier, il fait froid, c'est humide et la nuit tombe vite. À peine arrivée, je voudrais déjà repartir, refermer mon cahier, peut-être même déchirer cette page à grand bruit, y faire brûler une allumette pour que ça brille un instant au fond de mon oeil... alors je pense à vous.
Vous qui connaissez la forêt, vous qui avez eu froid, vous qui avez attendu... Vous qui connaissez l'agacement, ce fruit qui ne sait pas mûrir et qui reste chetif sur sa branche. Vous qui possédez tout sauf, parfois, les mots pour le dire... Vous connaissez comme moi la peur d'être passé à côté, à un mot près.
Je pense à vous quand je braque mon stylo dans la forêt. J'ai parfois l'impression qu'il n'y a plus rien à y chasser, que tout a déjà été dit et que je perds mon temps là où il est certain que je perds mon temps... Alors je jette mon stylo de rage, je pose mon cahier dans un endroit impromptu, humiliant, je le punis. Quelques jours après, je le retrouve... je l'ouvre... et il sent la forêt, alors je pense à vous et je braque mon stylo, au cas où je me serais trompée.
image Takeshi Shikama