Je suis en vacances! Je vide mon esprit, je vide mon énergie laborieuse, je vide mes problèmes, je vide mon quotidien. Je n'habite plus chez moi, je n'ai plus mes repères habituels, et tout d'un coup ma vie m'apparaît sous une autre lumière. Je me vois d'en haut, comme si je survolais mes derniers chapitres rapidement sans leur trouver une aspérité qui me donnerait envie de relire quelques pages. Non, ces derniers mois ont été utiles - utilitaires même - mais peu mémorables. J'ai fait ce que j'ai eu à faire, agissant heure par heure, minute par minute, comme une fourmi méthodique.
Mais les vacances ont ceci d'extraordinaire, plus elles vous vident de votre quotidien, et plus votre vie se remplie de nouveaux projets, de nouveaux fantasmes, de nouveaux rêves de soi. Il était temps que je me fasse un peu plus rêver. Que je redevienne désirable, que j'écrive enfin ces nouveaux chapitres fantasques que j'aime lire et relire. Je n'y suis pas encore, mais je sens que l'inspiration me revient comme une promesse secrète entre moi et moi. Je sens que le goût de la croisade et de l'héroïsme me reprend, je sens mon espoir naïf se réveiller, je sens que mon sens de la création revient caresser les pages blanches comme une petite brise rafraîchissante. Mmmm, comme je suis heureuse. Comme la paix des âmes est le moment le plus doux d'une vie.
Tout me semble plus beau. Je viens de finir un livre de Romain Gary, et je ne sais pas si c'est mon nouveau souffle, mais je crois que c'est le plus beau livre qu'il m'ait été donné de lire jusqu'alors. "La promesse de l'aube". Quelle merveille de livre. J'ai adoré notamment les descriptions de son caractère bien-heureux qu'il définit presque comme un handicap, et dans lesquelles je me retrouve trait pour trait avec une immense reconnaissance.
P. 246 de l'édition folio : " Je vois la vie comme une grande course de relais où chacun de nous, avant de tomber, doit porter plus loin le défi d'être une homme; Je ne reconnais aucun caractère final à nos limitations biologiques, intellectuelles, physiques; mon espoir est à peu près illimité; Je suis à ce point confiant dans l'issue de la lutte que le sang de l'espèce se met parfois à chanter en moi et que le grondement de mon frère l'Océan me semble venir de mes veines; je ressens alors une gaité, une ivresse d'espoir et une certitude de victoire telles, que sur une terre couverte pourtant de boucliers et d'épées fracassées, je me sens encore à l'aube du premier combat. Cela vient sans doute d'une sorte de bêtise ou de naïveté, élémentaire, primaire, mais irrésistible, que je dois tenir de ma mère, dont j'ai pleinement conscience, qui me met hors de moi, mais contre laquelle je ne puis rien, et qui me rend la tâche bien difficile lorsqu'il s'agit de désespérer. Je n'y arrive pour ainsi dire jamais et je suis obligé de faire semblant."
J'ai croisé plusieurs fois dans ma vie des gens qui ne voulaient pas être heureux. Je dois avouer que j'ai même une certaine fascination pour ceux qui savent si bien souffrir, et dont les tourments intellectuels me paraissent immensément riches. Mais je n'en suis pas. Je fais partie de ces "autres", simples d'esprit et bienheureux, tendus comme une flèche vers le bonheur, béats, et indéroutables; sans doute pénibles.
Peut-être écrirai-je moins pendant ces vacances, mais j'essaierai de garder la piste des étoiles, la vibe des bonnes ondes.
Passons du bon temps à espérer, ou à désespérer, selon les dons de sa nature.
C'est très beau, très touchant, très juste. Reçu 5 sur 5... Bonnes vacances !
Rédigé par : Alexandre | 18 juillet 2008 à 00:00
Oui Fanny. La Promesse de l'Aube est un livre de grande humanité. C'est l'histoire d'un homme plein & entier. Tout y est : du désespoir le plus sombre (avec le sauvetage providentiel d'un chat) à l'arrogance la plus naïve. Une merveille dont la constante est l'amour des femmes. Avec en particulier cette femme exceptionnelle : sa mère.
Et puis, entre ces extrêmes qui nous font voguer de la foi la plus inconditionnelle en soi au désespoir tout aussi absolu, il y a ces moments d'une délicatesse exquise.
J'en ai choisi un pour vous :
"Il m'arrivait à cette époque de jongler sept, huit heures par jour. Je sentais confusément que l'enjeu était important, capital même, que je jouais là toute ma vie, tout mon rêve, toute ma nature profonde, que c'était bien de toute la perfection possible ou impossible qu'il s'agissait. Mais j'avais beau faire, la septième balle se dérobait toujours à mes efforts. Le chef d'oeuvre demeurait inaccessible, éternellement latent, éternellement pressenti, mais toujours hors de portée. La maîtrise se refusait toujours. Je tendais toute ma volonté, je faisais appel à toute mon agilité, à toute ma rapidité, les balles, lancées en l'air, se succédaient avec précision, mais la septième balle à peine lancée, tout l'édifice s'écroulait et je restais là, consterné, incapable de me résigner, incapable de renoncer. Je recommençais. Mais la dernière balle est restée à jamais hors d'atteinte.Jamais, jamais ma main n'est parvenue à la saisir. J'ai essayé toute ma vie. Ce fut seulement aux abords de ma quarantième année, après avoir longuement erré parmi les chefs-d'oeuvre, que peu à peu la vérité se fit en moi, et que je compris que la dernière balle n'existait pas."
Rédigé par : Jean-Marc | 20 juillet 2008 à 22:49
Ah Jean-Marc ! merci pour la relecture de ce passage extraordinaire. Je persiste et signe, j'appelle cela le vertigineux espoir. Un gouffre. Ce qu'il faut rajouter pour ceux qui n'auraient pas lu le livre, est que même la vérité connue, il continua de jongler jusqu'à la fin de sa vie.
On peut continuer d'espérer d'atteindre quelque chose qui n'existe pas, c'est ce qui fait notre humanité... En quelque sorte...
Je vais allé voir sur votre blog si vous avez réussi à nous parler de votre femme...
Rédigé par : Fanny Grangier | 21 juillet 2008 à 08:59